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La Victoire de Samothrace, plus grande sculpture du Louvre !

12 août 2021
La Victoire de Samothrace

Depuis 1884, les visiteurs du Louvre peuvent admirer en haut de l’escalier principal, une imposante sculpture de 2,75 mètres, et même 5,12 mètres si l’on mesure la totalité du monument : elle est la plus grande sculpture exposée au sein du musée. Le personnage représenté, auquel il manque la tête et les bras, est la Victoire de Samothrace découverte par Charles Champoiseau en avril 1863 sur l’île de Samothrace.

« De la mousseline de pierre » écrivait Champoiseau à Napoléon III lorsqu’il l’informa de sa découverte. La sculpture, d’une finesse exceptionnelle, dégage un sentiment d’ardeur et de vitalité extraordinaire. Avec son socle représentant la proue d’un navire, elle est un véritable chef-d’œuvre antique, qui évoque à l’observateur une majesté empreinte de puissance invitant à plonger dans son histoire. Plongeons donc !

La représentation d’une déesse ailée

La déesse Niké – traduisez par Victoire – était traditionnellement représentée dans l’Antiquité comme une femme ailée. Elle est ici sculptée en marbre blanc de Paros, et vêtue d’une longue tunique en tissu délicat, avec un rabat replié sous la poitrine et attaché aux épaules par deux bretelles. Le bas du corps est couvert d’un manteau laissant découverte la jambe gauche.

Les nombreux effets de draperie et la position du manteau, en partie tombant au sol et court dans le dos, laissent penser à une volonté de représenter le vent – ou le mouvement de la déesse. Et pour cause : le pied droit à peine posé au sol et sa jambe gauche encore en l’air et tendue, trahissent que la déesse Niké se pose tout juste sur la proue du navire sur laquelle elle est représentée. Elle ne marche pas, mais vient plutôt de terminer son vol. Les bras ont donc disparu, cependant l’épaule droite relevée révèle que le bras droit devait être tendu ou levé vers le côté. Quant au bras gauche, aucun indice ne laisse imaginer sa position.

La signification de l’ensemble correspond très certainement à des remerciements adressés aux Grands Dieux à la suite d’une victoire navale. Le bras droit pouvait adresser un salut à la foule, tandis que le gauche pouvait éventuellement tenir un trophée de victoire navale de ce temps : une stylis, sorte de mat provenant du navire ennemi.

Le socle, en marbre gris veiné de blanc, provient des carrières de Lartos, à Rhodes. En forme de navire de guerre long et fin muni d’un éperon, il est couvert de la représentation d’un pont de combat sur lequel prend place la statue. Sur les côtés sont visibles des caisses de rames et deux bancs de rames superposés.

Une identification complexe

Le contexte précis de la création de la Victoire de Samothrace est difficile à déterminer : aux II et IIIe siècle av. J.-C., les batailles navales ont été nombreuses dans cette région du monde. Les Macédoniens et les Syriens ont ainsi affronté les Égyptiens puis les Rhodiens, pour la domination de la Mer Égée.

Si la datation reste donc incertaine, un indice nous est potentiellement laissé sur un tétradrachme du général macédonien Démétrios Poliorcète : le monument représenté pourrait bien être celui de Samothrace. Dès lors, on peut imaginer que la bataille concernée est celle de Salamine de Chypre, à l’issue de laquelle le Roi égyptien Ptolémée I est défait en 306 av. J.-C.

Pour l’archéologue allemand Otto Benndorf, la Victoire de Samothrace daterait alors de la toute fin du IVe siècle et aurait été sculptée par un élève de Scopas. Il ne s’agit que d’une hypothèse qui laisse beaucoup de spécialistes sceptiques, aucune œuvre de cette ampleur n’ayant été retrouvée par ailleurs. En revanche, tous s’accordent à trouver une ressemblance entre la Victoire de Samothrace et l’autel de Pergame conservé à Dublin, notamment dans la manière de sculpter les bas-relief. Notre sculpture n’offrant pas de signature visible hormis un fragment sommaire, le mystère reste entier.

Un lieu de culte emblématique du monde grec

Samothrace

Le lieu de la découverte de la Victoire de Samothrace est une curiosité à lui seul : le sanctuaire des Grands Dieux, l’un des principaux sanctuaires panhelléniques, sur l’île de Samothrace. Sis à proximité immédiate de la cité éponyme, il garde toutefois son indépendance : des ambassadeurs de la cité y étaient envoyés lors des évènements importants.

Le culte pratiqué à Samothrace est reconnu dans l’ensemble du monde grec, et nombre de personnages importants y sont initiés : Hérodote, les rois de Sparte, d’éminents athéniens. Platon et Aristophane en font par ailleurs mention dans leurs écrits.

Le sanctuaire est antérieur à l’arrivée des Grecs sur l’île (au VIIe siècle av. J.-C.), et les divinités vénérées sont en majorité chtoniennes et regroupées autour d’un personnage central, la Grande Mère – une femme représentée avec un lion à ses côtés sur le monnayage de Samothrace. Elle est assimilée à la Déesse Mère troyenne du Mont Ida, ainsi qu’à la déesse grecque de la fécondité Hestia. Les nom des divinités présentes sont secrets – il était interdit de les prononcer dans le monde profane – et leur nature reste en grande partie énigmatique. Celui de la Grande Mère nous a été dévoilé par Hérodote : Axiéros, pour « La Digne ».

D’autres divinités présentes ont été associées par les Grecs à leurs propres Dieux, afin de les vénérer en ce lieu particulier. Ainsi, Hécate et Aphrodite, sous le nom de Zerynthia, ont été détachées du culte de la Grande Mère pour être vénérées par les Grecs. Kadmylos, époux d’Axiéros, a été assimilé à Hermès. Il est accompagné de démons masculins, les Cabires, probablement à l’origine des héros légendaires fondateurs des mystères de Samothrace et devenant pour les Grecs les Dioscures, protecteurs des marins. Enfin, un couple de Dieux infernaux, identifié à Hadès et Perséphone, n’appartient peut-être pas au panthéon originel pré-grec.

La Victoire de Samothrace, dans cet ensemble, est considérée comme une offrande faite aux Grands Dieux en remerciement d’une victoire navale. La dédicace est probablement rhodienne plutôt que macédonienne, si l’on en croit l’origine des blocs de marbre constituant notamment la proue du navire.

La dernière restauration de la Victoire de Samothrace a eu lieu en 2014, sans que la sculpture ne soit déplacée davantage que de quelques dizaines de mètres : il faut dire que la déesse et son socle sont constitués de pas moins de 200 blocs de marbre, pour un poids de 29 tonnes ! L’émotion reste entière lorsqu’on l’aperçoit, accueillant majestueusement le visiteur comme autrefois les pèlerins. Rendez-vous sur place, émerveillement garanti !

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